Retour en Belgique

Même si Claire n’est rentrée en Belgique qu’en septembre 2009, il y avait déjà un certain temps qu’elle éprouvait un certain malaise à rester rela­ti­vement seule à Polambakkam. Grâce à l’excellent travail réalisé au Tamil Nadu, l’incidence de la lèpre y a fortement baissé et il n’y avait plus de raison de conserver un programme “vertical” qui ne s’occupe que de la lèpre. La politique du gouver­nement a donc été d’intégrer le contrôle de la lèpre dans les services généraux de santé, ce qui enlevait au Centre de Polambakkam une bonne partie de sa raison d’être. Claire a déployé beaucoup d’efforts pour donner une nouvelle raison d’être à Polambakkam, espérant que le terrain et les bâtiments puissent béné­ficier à un nouveau projet dynamique (handi­capés, malades du sida, formation médicale ?), et sans doute a-t-elle été déçue que ses efforts soient restés vains, malgré l’appui de ses nombreux amis (DK. Oza, Dr. Baktha Reddy, …).

L’année 2008 fut aussi très difficile pour elle : en janvier le décès de Clara, au début mars le décès d’Arul, son fidèle cuisinier, et à la mi-mars une chute dans sa chambre. Elle décida début avril de rentrer en Belgique pour la saison chaude, faisant de Rosières son “port d’attache” jusqu’à la mi-septembre, tout en profitant de l’occasion pour visiter des amis en France et son équipe AFI au Proche-Orient. Rentrée de deux mois à Polambakkam, elle repartit deux mois pour passer la fête de Noël chez son amie Huguette à l’île Maurice. Mais elle se retrouva à Polambakkam à la fin janvier 2009, sans avoir vraiment eu le temps de songer à elle-même et sans avoir pu décider si elle répon­drait à l’une ou l’autre des invi­ta­tions qui lui étaient faites de s’installer ailleurs en Inde.

C’est à la mi-mars 2009 qu’elle se sentit “dans un creux” et qu’elle lança un SOS à ses amis en Inde (Nalini, Shanti, Shilanand) ainsi qu’en Belgique. Après consul­ta­tions, elle décida pour l’immédiat de rentrer en Belgique (fin avril). Dans l’émotion, en quittant Chennai, elle utilisa le “mauvais” passeport : depuis 1998, elle avait récupéré sa natio­nalité belge et utilisait — pas très léga­lement ! — son passeport belge ou indien selon les fron­tières à franchir. Cette mésa­venture l’obligea, une fois à Bruxelles, à régu­la­riser sa situation auprès de l’ambassade de l’Inde. Elle fut contrainte de rendre son passeport indien (et sa natio­nalité !) mais — déco­ration Padma Shri aidant — on lui accorda un passeport OCI (Overseas Citizen of India, soit un visa permanent pour l’Inde). “Je pourrai aller en Inde quand je veux, mais je ne pourrai plus y voter.”

Se rendant compte que la solitude de Polambakkam lui pesait, elle décida d’y “fermer sa maison”, quitte à trouver encore plus tard un autre lieu d’implantation en Inde. C’est à ce moment-là qu’elle écrivait : “J’ai confiance dans le Seigneur qui me mène par des chemins inconnus, terribles et néces­saires pour moi. Vous tous et tous les amis qui m’encouragez, me donnent espoir d’en sortir…” Jacques l’accompagna pour l’aider à “emballer 55 ans de souvenirs accumulés en Inde”, elle passa encore plusieurs jours à Trivandrum, Bangalore et Chennai, et tout le staff, ancien staff et amis de Polambakkam lui firent un émouvant et chaleureux adieu le 6 septembre.

Discours d’adieu à Polambakkam le 6 septembre 2009

Lors de ses séjours précé­dents en Belgique, Claire avait déjà pris contact pour réserver une chambre dans le Home St Joseph, situé au centre de Bruxelles, tenu par les Petites Soeurs des Pauvres, et où vivaient déjà deux autres consoeurs AFI. Claire s’inséra assez vite dans la vie du groupe de pension­naires, préparant chaque jour les tartines distri­buées par les Soeurs aux néces­siteux et assurant certaines perma­nences à l’accueil. La situation du home au centre-ville lui permettait aussi de garder son autonomie (grâce aux trans­ports publics) pour parti­ciper à des réunions AFI, rendre visite à des amies ou à sa famille.

Mais l’Inde ne restait évidemment jamais très loin ! Par les contacts courriel évidemment, également par les amis Indiens en visite à Bruxelles (le Père Suresh, Rajagopal, Isha, etc.) mais surtout grâce aux séjours que Claire maintint chaque fois que possible : en septembre-novembre 2010 (notamment pour les 100 ans de Muttumalla Reddiar, celui qui avait offert le terrain pour le Centre de Polambakkam), en août-octobre 2011 (Chantiers Damien à Polambakkam) et en juin 2012 (remise du Prix International Gandhi pour la lèpre). Ce fut chaque fois l’occasion de revoir tous ses amis indiens à Polambakkam, Chennai, Trivandrum, Bangalore et même Mumbai. Et en même temps, Claire n’oubliait pas non plus son amie Huguette à l’île Maurice (mai 2010 et septembre 2011 depuis Chennai). Pas étonnant que pour les autres pension­naires du home de Bruxelles, elle appa­raissait comme une “grande voyageuse”.

C’est lors de son voyage en Inde d’octobre 2011 que Claire séjourna quelques jours chez son amie Nalini, à Trivandrum, et que celle-ci demanda à Claire d’écrire ses réflexions sur son expé­rience en Inde (pour un document qui devait relater l’expérience de l’ensemble des AFI en Inde). Claire écrivit en anglais et plusieurs de ses notes (traduites) sont reprises à diffé­rents endroits dans ce site internet.

Claire écrit au sujet de son retour en Belgique

Claire avait été heureuse d’apprendre sa nomi­nation pour le Prix Gandhi 2011, non seulement pour la recon­nais­sance de ses 55 années de travail en Inde, mais parce que cela lui donnait une nouvelle occasion de retourner dans “son pays”. Le Prix étant remis par le Vice-président de l’Inde, il fallut attendre la dispo­ni­bilité de son agenda, et ce n’est fina­lement que le 28 mai 2012 que le Prix fut décerné à Claire à Delhi. Claire avait insisté pour que deux anciens colla­bo­ra­teurs des débuts de Polambakkam soient présents à la cérémonie.

Attribution du Prix Gandhi inter­na­tional pour la lèpre

Comme à son habitude, Claire voulut revoir un maximum d’amis en ce mois de juin parti­cu­liè­rement chaud, elle voyagea beaucoup, et malgré les efforts de chacun pour lui offrir des logements air-conditionnés (à Polambakkam, il n’y a pas d’air-conditionné et au contraire beaucoup de pannes d’électricité !), elle revint de ce séjour en Inde très heureuse mais très fatiguée. C’est une vingtaine de jour après son retour (22/07/2012), qu’elle fit une malen­con­treuse chute dans sa salle de bain qui provoqua une fracture du trochanther (une partie du fémur). Elle fut rapi­dement opérée à l’hôpital tout proche, mais préféra rentrer au home dès que possible plutôt que de suivre tous les conseils de réadap­tation. C’est depuis cette chute que Claire n’a plus été autonome dans sa mobilité, devant utiliser un trotteur ou une chaise roulante. En mars 2013, elle se confiait à une amie :

“En arrivant ici, je marchais avec une canne car j’avais une légère faiblesse à la jambe gauche. Depuis ma chute en juillet, tout a vraiment changé. Cela a été une perte non seulement sur le plan physique mais aussi psycho­lo­gique et spirituel, et c’est de cette situation que je n’arrive pas à sortir. Je n’ai pas mal du tout mais je suis très faible. Aujourd’hui, je marche de nouveau avec une canne, après avoir dû utiliser un trotteur, et j’arrive à descendre pour les repas du midi et du soir. Avec cette chute, ma santé a basculé. Je n’avais prati­quement jamais été malade aupa­ravant et tout d’un coup je me suis trouvée tout à fait perdue. Mais en même temps, cela va beaucoup mieux, car à la faiblesse s’ajoutait une espèce de déprime. Mais nous sommes bien soignées et mon docteur est une amie. (…) On ne choisit pas de vivre dans un home. Pour moi, ce fut une espèce de protection : j’avais fait l’erreur de vivre seule en Inde et je cherchais justement cette protection. Je l’ai trouvée dans ce home où j’ai été accueillie par deux amies AFI.”

Cette perte de mobilité n’a pas empêché Claire de recevoir de nombreuses visites — famille, amis, presque chaque jour son agenda mentionne l’un ou l’autre nom — et même de parti­ciper à certaines réunions fami­liales ou chez des amis. Sa dernière visite exté­rieure — le lundi 16 septembre — fut parti­cu­liè­rement symbo­lique. Pour la première fois, le Congrès International de la Lèpre — auquel Claire avait participé à plusieurs reprises dans diffé­rents coins du globe — se tenait cette année à Bruxelles. Nous avions insisté pour y inscrire Claire, quelque peu réticente à devoir s’y rendre en chaise roulante. Claire eut effec­ti­vement l’occasion d’assister à la séance inau­gurale (avec la présence de la Princesse Astrid) et surtout d’y rencontrer de nombreux anciens collègues, lépro­logues de l’Inde ou d’ailleurs. Ce fut une grande joie pour elle de recevoir tant de témoi­gnages de recon­nais­sance de ceux aux côtés desquels elle avait pu travailler en Inde.